Chronique des Prud'hommes:                                    
                                
                                Il demande un rappel de salaire, il est licencié pour faute lourde 
Christophe a été licencié pour faute lourde car il aurait 
menacé son employeur. Aux prud'hommes, le salarié indique avoir juste 
réclamé un rappel de salaire.
  
  
            
                        
                                      
Les conflits qui animent 
les prud'hommes reflètent quotidiennement notre histoire sociale. 
L'audience en bureau de jugement est publique.Une 
journaliste de L'Express assiste aux débats:
Chronique Media: par l'Express l'Entreprise
Paris, conseil des prud'hommes, section encadrement, le 20 décembre 2017 à 15h50  
Le président est entouré d'une conseillère et de deux conseillers. Deux avocats sont face à eux, dos à la salle. 
Le président: "Vous nous rappelez les chefs de demandes et le quantum?" 
L'avocat de Christophe:
 "Je réclame un rappel de salaire de 76 084, 25 euros à titre principal 
et 33 348,55 euros à titre subsidiaire. Je réclame également 16 365, 30 
euros d'indemnité de préavis de licenciement, 15 574,81 euros d'indemnité de licenciement
 et 145 880 euros d'indemnité de licenciement sans cause réelle et 
sérieuse. A titre subsidiaire, 10 050 euros de préavis, 9 538 euros 
d'indemnité conventionnelle de licenciement, 60 300 euros d'indemnité 
sans cause réelle et sérieuse et 3 000 euros d'article 700. "       
Le président: "Les conditions de la rupture?" 
L'avocat de Christophe:
 "Mon client a été embauché le 2 janvier 2008 par un ami de 20 ans avec 
un salaire de 3 100 euros qui passe ensuite à 3 350 euros. Il fait 
l'intégralité des formations dans cette société. Le salaire est faible, 
mais la marge nette devait être partagée et quand on est amis, on ne 
fait pas d'écrit. En 2015 pourtant, mon client demande sa part. Son ami 
PDG lui dit: "je sais que je te dois des sous". À partir de là, tout va 
dégénérer. En effet, peu de temps après  son ami lui dit: "je te dois 
ton salaire, un point c'est tout". Mon client le menace de lancer une 
procédure, il lui rétorque: "extorsion de fonds et chantage"." 
L'avocat de l'employeur:
 "Cette histoire, "ils furent amis ", est un grand classique. Le salarié
 avait une rémunération importante dans une autre vie, mais un beau 
jour, en 2008, il dit à son ami dirigeant: "j'ai besoin de moins 
d'argent mais de plus de temps". Il veut vivre, lui explique-t-il. Son 
ami chef d'entreprise lui fait faire ce qu'il sait faire: de la 
formation. Pendant 8 ans, il ne va pas se plaindre. Cela se passe bien 
et, en face, on me dit qu'il est sous-payé. Moins de temps de travail 
égale plus de sérénité. C'est ce qu'il voulait? Il l'a. Le contrat de travail
 est mal ficelé, je vous l'accorde. Aucune référence à la convention 
collective, ni au coefficient. Péché véniel.  Mais les amitiés de 20 ans
 sont celles que l'on trahit avec le plus de bonheur, je suis d'accord. 
Ce n'est toutefois pas le problème."  
Le président fait la moue: "Faute lourde... Il y en a quand même un!" 
L'avocat de Christophe:
 "Peu après ses différentes réclamations en mars 2016, mon client a un 
accident de moto. Il reprend le travail de chez lui. Il est en télétravail
 depuis 8 ans, mais son employeur lui demande de venir avec ses 
béquilles chercher les instructions  au bureau de domiciliation de 
l'entreprise. Cela n'a aucun sens. On lui reproche de ne pas s'être 
présenté, on lui tient rigueur de la revalorisation demandée et on le 
convoque à un entretien préalable pour faute lourde le 6 juillet. La lettre fait 6 pages, vous trouverez 13 motifs, c'est totalement hallucinant." 
L'avocat de l'employeur: "Je conçois que ce soit un jeu imbécile d'obliger un salarié à venir chercher des instructions en béquilles...."    
L'avocat de Christophe:
 "Il avait une activité totalement autonome, il faisait tout sur le plan
 des formations, je vous renvoie sur les coefficients par rapport à ses 
responsabilités." 
L'avocat de l'employeur: "Il 
est autonome, et puis? Il n'y a qu'un seul salarié dans la structure: 
lui. Aucune équipe à diriger. Sur la prospection commerciale, il n'y a 
pas grand-chose à faire et quand il ne peut pas assurer la formation, il
 doit vérifier si un autre formateur est disponible. Simplissime. Il n'a
 rien de plus à gérer."            
Le président: "Sur les autres griefs de la lettre?" 
L'avocat de Christophe:
 "On lui reproche de la mauvaise volonté, un niveau de productivité 
inacceptable. Sur un rapport qui lui est demandé, on montre quatre 
versions différentes. Et alors? Le travail a été fait. Le rapport a été 
écrit et corrigé quatre fois. Je ne comprends toujours pas la faute 
lourde." 
L'avocat de l'employeur: "Et le mail 
d'extorsion? Il demande de l'argent ou menace son employeur de 
dénonciation fiscale, de procès, etc. Quand on passe de la menace à la 
réalisation de la menace, cela pose un problème. C'est une logique 
d'opposition frontale: le constat des menaces caractérisées implique la 
faute lourde." 
L'avocat de Christophe: "L'employeur reconnaît lui-même par mail: "je te dois des sous." 
L'avocat de l'employeur:
 "Regardez la chronologie. C'est lié à l'accident de moto. L'employeur 
écrit ce mot pour rassurer le salarié sur le paiement de son salaire 
complet, pour qu'il n'ait pas que des indemnités journalières pour 
vivre."  
16h15 Le président: "Les débats sont clos. Prononcé le 25 janvier." 
 Verdict:
 L'employeur est condamné à payer à Christophe 10 050 euros de préavis, 9
 538 euros d'indemnité de licenciement, 20 110 euros d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse
 et 700 euros d'article 700. 
Le conseil n'a pas suivi l'employeur sur la
 faute lourde ni même sur le licenciement justifié. 
Il n'a pas non plus 
suivi le salarié sur sa demande principale: un rappel de salaire (assis 
sur le partage de la marge dégagée par l'entreprise).  
Extorsion de fonds: ce que dit la loi
Selon le dictionnaire Larousse, l'extorsion est "une
 infraction consistant à obtenir la remise de fonds, d'un bien 
quelconque, ou une signature, un engagement, une renonciation ou la 
révélation d'un secret au moyen de violences, menace ou contraintes". 
L'article 312-1 du code pénal  ajoute que "l'extorsion est punie de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende". 
L'employeur
 de Christophe n'a toutefois pas été au pénal et même s'il met en avant 
la menace du salarié de révéler à l'administration fiscale quelque 
secret peut-être compromettant, le grief de faute lourde paraît très largement exagéré. 
Pour
 la cour de cassation en effet, la faute lourde est celle qui est 
commise par le salarié avec l'intention de nuire à l'employeur. Encore 
faut-il pouvoir caractériser cette intention de nuire.
Ainsi, un 
chef-comptable qui avait "sciemment profité de ses fonctions au 
détriment de son employeur, en utilisant à des fins personnelles des 
fonds appartenant à l'entreprise pour régler les frais d'un voyage 
touristique réalisé avec son épouse", n'est pas coupable de faute lourde
 selon la Cour de cassation (18 novembre 2003, pourvoi 01-44102)". 
Par Claire Padych,
  
  
      
                      publié le
        

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