lundi 7 janvier 2019

#Augmenter les salaires - Missions Impossible?





Sur les ronds-points, les « gilets jaunes » évoquent les fins de mois difficiles et s’en prennent aux impôts et taxes.
Les revendications salariales, elles, passent au second plan et ont été exclues par le gouvernement.

Les augmentations générales de salaires sont-elles devenues impossibles en France ?

Né d’une fronde contre la hausse des taxes sur l’essence, le mouvement des gilets jaunes a plus largement remis sur le devant de la scène la question du pouvoir d’achat, du coût de la vie et de la difficulté de vivre de son travail. Bizarrement, sur les ronds-points, on a pourtant peu parlé de salaire. À Paris, ce sont les symboles du pouvoir politique qui ont été assiégés par les manifestants, pas ceux du pouvoir économique.
Quant au gouvernement, il a pris soin d’épargner les entreprises : l’augmentation du smic a été immédiatement exclue et seules les entreprises qui le pouvaient ont été « invitées » à verser une prime exceptionnelle à leurs salariés, défiscalisée et sans charges sociales.

N’y a-t-il donc plus aucune marge de manœuvre, en France, pour augmenter les salaires ? Au point presque de devenir un sujet tabou, alors même que la question du pouvoir d’achat est au cœur du malaise ? Éléments d’explication.
Des salaires en berne un peu partout
C’est un constat commun à presque tous les pays de l’OCDE : les salaires moyens sont à la peine depuis une bonne dizaine d’années. Encéphalogramme plat. Dans un premier temps, les économistes y ont vu un effet de la crise. Des caisses vides, des salariés trop contents de ne pas être au chômage, voilà qui ne conduit guère à faire flamber les fiches de paie.

Sauf que l’explication ne tient plus. L’économie est repartie, certains pays comme l’Allemagne ou les États-Unis sont au plein-emploi, ou presque. Pour autant, les salaires moyens ne progressent toujours pas. « C’est un phénomène global, encore mal expliqué, qui touche aussi bien des pays dont le taux de chômage a fortement chuté que des pays comme la France dans lequel il reste élevé », rappelle l’économiste Philippe Askenazy, directeur de recherches au CNRS.
Deuxième point commun à l’ensemble de ces pays, les gains de productivité stagnent. En France, d’après Patrick Artus, directeur des études de Natixis, ils n’augmentent guère plus de 0,8 % par an ces dernières années, contre 4 % par an en moyenne pendant les Trente Glorieuses. « Les entreprises ne peuvent pas distribuer ce qu’elles n’ont pas, tranche-t-il. Sans gains de productivité, pas de hausses de salaire possible ». CQFD.
Mais comment expliquer cette petite forme de la productivité ? « Une controverse scientifique » divise les économistes. Pour certains, « nous serions dans une phase de transition, entre la révolution finissante de la téléphonie mobile et des réseaux et celle, émergente, de l’intelligence artificielle, explique Philippe Askenazy. Dans ce contexte les entreprises hésitent à investir et à innover, de peur de se tromper ». Mais d’autres estiment que c’est à cause de la modération salariale elle-même que la productivité serait en berne ! Partout dans les pays européens, les réformes du code du travail et l’affaiblissement des syndicats ont réduit le pouvoir de négociation des salariés. « Résultat, les salaires sont sous contrôle et les entreprises gagnent de l’argent sans avoir besoin d’innover, ce qui se traduit par de faibles gains de productivité », poursuit Philippe Askenazy.
L’eurodéputé Édouard Martin, ancien syndicaliste CFDT d’ArcelorMittal, ajoute que la chasse aux coûts pratiquée par les entreprises en concurrence sur les marchés mondiaux se fait le plus souvent au détriment des salaires. « C’est plus facile que de réduire les coûts de transport ou d’énergie, ce qui suppose le plus souvent un investissement de départ », précise-t-il.

Les particularités françaises
Dans ce contexte, les salariés français ne seraient pas, globalement, les plus pénalisés. « Le salaire moyen n’augmente pas beaucoup, certes, mais il augmente quand même un peu plus que la productivité, relève Patrick Artus. La France est le seul pays d’Europe dans ce cas, avec l’Italie. » On est loin du cas américain où le niveau de vie des 30 % des ménages les plus modestes n’a pas augmenté depuis ... 1990. «  Le partage de la valeur ajoutée ne s’est pas déformé en France en faveur des actionnaires », assure Patrick Artus. Mais il serait difficile de faire mieux, de peur de perdre encore en compétitivité sur les marchés mondiaux. « Faute d’avoir investi suffisamment pour se moderniser, les entreprises françaises perdent des parts de marché de manière continue depuis vingt ans, relève Patrick Artus. En moyenne, l’industrie française est restée au niveau de gamme qui était le sien en 2000, alors que l’Allemagne a su monter en gamme et garder sur son sol des productions à forte valeur ajoutée. »

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Comment expliquer la faiblesse du positionnement français ? « C’est un cercle vicieux, relève l’essayiste et ancien patron du Crédit lyonnais Jean Peyrelevade. La lourdeur des charges, la faiblesse des fonds propres découragent l’investissement des entreprises, dont beaucoup se trouvent dans une forme de survie sans ambition autre que locale ou régionale. »
Le tissu entrepreneurial français souffre selon lui de sa composition entre une poignée de grands fleurons internationaux et une myriade d’entreprises « beaucoup trop petites pour voir grand ». « Derrière quelques start-up, toute une partie de l’appareil productif français est de qualité médiocre », insiste-t-il. « Il existe en France de très belles entreprises innovantes, renchérit Patrick Artus. Mais dans la grande majorité des cas, nos chefs d’entreprise sont assez conservateurs et ont du mal à se moderniser ou à changer de produits. »

Retrouver des marges de manœuvre
« Monter en gamme va nécessiter de relever le niveau de compétences et des salariés, et des chefs d’entreprise, assure Jean Peyrelevade. Ce qui nécessite du temps. » Ce dernier plaide par ailleurs pour le recul de l’âge de la retraite, mesure la plus efficace selon lui pour baisser le coût du travail et redonner de la marge aux entreprises.
Des voix se lèvent régulièrement pour demander une meilleure régulation de la compétition internationale. « Tout le monde ne suit pas les mêmes règles du jeu, notamment les Chinois dont l’économie fonctionne de manière fermée, opaque et subventionnée, relève édouard Martin. Les règles de l’OMC doivent désormais intégrer des critères sociaux, environnementaux et fiscaux. »

De manière plus immédiate, Philippe Askenazy plaide pour une remise à plat des dispositifs d’allégements de charges pour les entreprises. « Ces dispositifs sont indexés sur le smic, explique-t-il. De ce fait, une augmentation du salaire minimum a un coût immédiat important sur le budget de l’État, ce qui empêche le gouvernement d’utiliser cet outil pour doper un peu les salaires. » Un outil que viennent d’utiliser les voisins britanniques et allemands, inquiets de la stagnation des rémunérations et du risque de voir augmenter le nombre de travailleurs pauvres. « Dans ces deux pays, l’augmentation du salaire minimum – qui concerne surtout des emplois non qualifiés chez les sous-traitants de grandes entreprises - a été absorbée par ces dernières. Il n’y a pas eu de destructions d’emplois. »

Face à l’étroitesse des marges de manœuvre en la matière, « il est d’autant plus indispensable de préserver les plus modestes, rappelle Jean Peyrelevade. Que ce soit dans les mesures prises – était-il bien utile de réduire les aides au logement ? – que dans les discours ».

Emmanuelle Réju, avec Marie Dancer et Alain Guillemoles - Source lacroix.com -Janvier 2019



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