Améliorer l’engagement, le bien-être et l’autonomie du salarié, tout
 en boostant l’attractivité de l’entreprise… Voilà les promesses de 
l’entreprise libérée. Mais derrière ces objectifs, que se cache-t-il 
vraiment ? Les salariés sont-ils réellement plus heureux ? Est-ce 
forcément un gage de rentabilité et d’efficacité ?
Rendre l’entreprise plus productive par l’autonomie des 
collaborateurs. C’est ainsi que l’on pourrait résumer le principal 
objectif des dirigeants qui se lancent dans la libération de leur 
organisation. Si l’idée n’est pas nouvelle, elle a fait des émules en 
France depuis la publication en 2009 de l’ouvrage d’Isaac Getz et de 
Brian Carney, Liberté et Cie.
 “L’entreprise libérée c’est une combinaison de choses existantes et qui
 implique que l’on cherche à donner plus d’autonomie et de 
responsabilités aux collaborateurs. Avec le sous-entendu que cela 
favorisera forcément leur engagement et donc la productivité de 
l’entreprise”, analyse François Geuze, ancien DRH et consultant pour le cabinet E-consulting RH.
Ainsi, ce nouveau mode d’organisation répondrait aux attentes des 
collaborateurs qui se sentent, il est vrai, de moins en moins impliqués 
dans leur entreprise. En témoigne l’étude réalisée conjointement par Steelcase et Ipsos en 2016.
 Les résultats, à l’époque, étaient sans appel et démontraient que seuls
 5 % des salariés français estimaient être très engagés dans leur 
travail et très satisfaits de leur entreprise. Un chiffre bien en 
dessous de la moyenne mondiale qui atteignait 13 %. A contrario, ils 
étaient 18 % à se déclarer désengagés de leurs missions quotidiennes, 
soit 7 points de plus que la moyenne mondiale (11 %). Dans ce contexte, 
pas étonnant que les entreprises cherchent des solutions pour inverser 
la tendance et rendre ainsi leurs organisations plus productives.
Dégraissage d’effectifs
Mais derrière la présentation idéale souvent faite de ce nouveau mode
 d’organisation, se cachent un certain nombre d’écueils voire de dangers
 dans lesquels il est difficile de ne pas tomber. Le premier étant de 
penser l’entreprise libérée comme un moyen de faire des économies 
structurelles. “C’est souvent ce qui est valorisé quand on parle 
d’entreprise libérée, c’est-à-dire que la décision devenant collective, 
on va réduire le nombre de procédures, de reporting voire de managers. 
Tout ce qui peut avoir un impact sur la productivité. Mais si l’on pense
 de cette façon-là, on oublie qu’on cherche l’implication et 
l’engagement des collaborateurs”, détaille Henri Sendros-Mila, président de la Chambre professionnelle de la médiation et de la négociation.
Auchan figure parmi les sociétés qui ont tenté l’expérience avant de rebrousser chemin. L’enseigne, qui a testé ce nouveau modèle de management
 dans l’un de ses magasins à Saint-Quentin en 2015, a été accusée 
d’avoir misé sur l’entreprise libérée pour dégraisser ses effectifs. “Ce thème n’est plus d’actualité. Nous ne reviendrons pas dessus, nous précise-t-on. Nous
 avons eu des expérimentations en ce sens, mais aujourd’hui, la notion 
d’entreprise libérée n’est plus au cœur de notre démarche managériale et
 de notre projet humain.” Bien souvent, il est vrai, quand une 
entreprise libère son organisation, cela est interprété et analysé par 
le spectre de la réduction d’effectifs. Que ce soit une volonté ou non 
des dirigeants…
Mais l’entreprise libérée poserait d’autres problèmes. Parmi eux, le 
fait qu’au final les décisions stratégiques importantes ne sont pas 
laissées aux mains des collaborateurs. “Les responsabilités qui étaient celles des managers ne sont pas données aux équipes mais reviennent à la direction”,
 affirme François Geuze. Surtout, c’est la façon dont est présenté le 
concept qui est dérangeant, laissant croire que la prise de décisions 
peut se faire simplement et collectivement. “Or les entreprises qui 
adoptent le principe de libération veulent être plus rapides dans leur 
prise de décisions. Il faut être lucide, à un moment donné, cela ne peut
 pas se faire à 50 personnes”, assure Pascal Grémiaux, fondateur d’Eurécia, logiciel de GRH.
« La libération de l’organisation c’est d’abord l’occasion de se séparer de l’encadrement intermédiaire »
Concentration de pouvoirs
Les défenseurs de l’entreprise libérée l’assurent toutefois : les 
managers n’ont pas disparu et les choix importants sont effectués par 
des personnes volontaires, dans la majorité des cas cooptées par les 
autres collaborateurs. “Penser que l’entreprise libérée supprime les managers, c’est une grosse erreur et surtout un raccourci, estime Damien Richard, enseignant-chercheur à l’Inseec Business School.
 La différence c’est qu’ils voient leur rôle évoluer et deviennent des 
coachs accompagnant la prise de décision. Bien souvent, ils sont élus 
par leurs pairs, les autres salariés de l’entreprise.” 
Choisir qui sera son manager, c’est ce qu’il se passe depuis 2009 chez Chrono Flex, spécialisé dans le dépannage de flexibles hydrauliques. “Chaque
 équipe élit son ‘team leader’, pour 3 ans. Avec lui, les employés 
s’auto-organisent et construisent leur projet chaque année. Attention, 
cela ne se fait pas n’importe comment mais selon la vision de 
l’entreprise, explique Alexandre Gérard, président de Chrono Flex. Ce
 sont eux qui sont mis à contribution pour acter des choix importants et
 stratégiques, avec l’aide de leurs équipes. Le pouvoir collectif ne 
veut pas dire que l’on sera 150 à décider de la couleur du papier peint,
 au contraire.”
Chacun pourra se faire son avis mais force est de constater qu'il faut analyser ,ce qui semble d'un premier abord comme une évolution positive et attendue par les salariés ! 
Cet article a été initialement publié dans le n°114 de Courrier Cadres (avril-mai 2018)


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