Dossier Entreprise Libérée - quel est ce modèle et d’où vient il?
Qui n’a jamais entendu parler des entreprises dites « libérées » ?
Depuis quelques années, ce mouvement suscite un fort engouement
médiatique, et de nombreux débats. Il est porté par le succès de
quelques promoteurs talentueux qui ont pris la plume pour convaincre de
son originalité et de ses atouts. Ce sont en particulier des dirigeants
de certaines de ces entreprises, comme l’ancien patron de la fonderie
Favi, Jean‑François Zobrist (voir le film de François Maillard), ou le
président de Chrono Flex, entreprise spécialisée en flexibles
hydrauliques, Alexandre Gérard. Ce sont aussi des analystes et observateurs convaincus par ces expériences, comme Isaac Getz et Brian Carney, qui les ont étudiées et ont publié des articles et ouvrages dès 2009 sur ce sujet.
Le phénomène a pris une ampleur considérable, qui dépasse aujourd’hui
très largement le cercle de ces premiers spécialistes. À l’heure où la
Direction interministérielle de la transformation publique (DITP),
publie un « recueil de bonnes pratiques »
inspiré du mouvement des entreprises libérées, et destiné à orienter
les changements à venir dans l’administration publique, il est urgent de
s’interroger sur le fond : où en est aujourd’hui ce mouvement ? Que
faut-il en penser ? Ce modèle est-il réellement novateur ?
Commençons par essayer de définir cet objet mal identifié :
Pour Isaac Getz, professeur à l’ESCP Europe, le terme entreprise libérée désigne :
« Une forme organisationnelle dans laquelle les salariés sont totalement libres et responsables dans les actions qu’ils jugent bon – eux, et non leur patron – d’entreprendre ».
Face à ce mouvement, des critiques se sont élevées. Certains y voient
un simple phénomène de mode, d’autres une imposture, et certains
sociologues du travail considèrent même qu’il s’agit d’une nouvelle idéologie managériale, source au contraire d’aliénation !
Mais qui sont donc ces « Entreprises libérées » ? En France, celles
que l’on cite le plus spontanément, ce sont des entreprises de taille
intermédiaire : le fondeur Favi – c’est lui qui a fait figure de
pionnier – et le dépanneur de flexibles hydrauliques, Chrono Flex donc,
ou encore le biscuitier Poult. Les noms d’autres entreprises, beaucoup
plus grandes celles-là, sont parfois aussi mentionnées comme étant « sur
le chemin de la libération », sans qu’elles-mêmes revendiquent
d’ailleurs cette expression. Il s’agit par exemple du groupe de
prêt-à-porter, Kiabi, de l’enseigne de distribution d’articles de sport, Decathlon, ou encore du fabricant de pneumatiques, Michelin.
Il nous semble important, pour mieux comprendre le phénomène, de ne
pas se cantonner aux discours sur ces organisations, mais d’interroger
ce qui s’y « pratique », de les regarder en quelque sorte de
l’intérieur. Nous avons mené une telle recherche de l’intérieur, sur
trois ETI pionnières, qui sont d’ailleurs souvent présentes dans les
discours sur ces entreprises. Il s’agit de Favi, Poult et Chronoflex,
que nous avons étudiées entre 2012 et 2015.
Dimensions nouvelles
Qu’y avons-nous observé ? Tout d’abord, les structures y sont
aplaties, les titres et marques statutaires effacés, et la ligne
hiérarchique est raccourcie. Ensuite, les équipes d’opérateurs sont
responsabilisées sur un ensemble d’activités et la technostructure et
les fonctions de support sont allégées.
Qu’en pensent les employés ? Dans l’ensemble, cela apparaît plutôt
positif aux opérateurs, ouvriers, employés et techniciens que nous avons
interrogés ; d’autant plus que ces trois entreprises, qui ont toutes
été confrontées à des difficultés, ont obtenu à la suite de ce processus
des résultats économiques confortables, résultats qu’elles ont partagés
avec ces différents acteurs.
Enfin, nous nous sommes posé la question du caractère novateur du
modèle. Il nous a semblé à la fois moins révolutionnaire que ce qu’en
disent ses promoteurs, mais quand même novateur. Moins révolutionnaire,
car, si l’on se situe dans l’histoire de la théorie des organisations,
on pourrait le considérer comme un fruit tardif de l’école des
relations humaines, ce courant né à l’époque de la crise économique de
1929.
D’ailleurs, l’un des auteurs de référence qui est abondamment cité
par les adeptes de la libération des organisations est justement un
chercheur de l’École des relations humaines, le psychologue Douglas
McGregor, qui a opposé deux styles de management avec les fameuses
« théorie X » et « théorie Y ». En outre, le modèle de la libération
n’est pas sans rappeler un autre courant, celui du management participatif pour lequel il y a eu un fort engouement dans les années 1980, jusqu’à ce qu’il tombe dans l’oubli.
Un modèle durable ?
Une autre nouveauté concerne l’accent mis sur la démocratisation de
l’innovation, et plus largement sur la stimulation de la dynamique
entrepreneuriale. Enfin, le rôle des dirigeants est également clé : ils
se mettent volontairement en retrait, refusent de prendre part aux
décisions opérationnelles, ce qui de facto suscite la prise de décision
collective et la participation. Le dirigeant se concentre sur la
stratégie, le développement d’une culture et d’une vision.
Pour conclure, on peut toutefois se demander si ce renouveau de la
participation ne risque pas de subir le même sort que le management
participatif des années 1980…
On se souvient qu’à l’époque, il était resté circonscrit dans notre
pays à quelques équipes à durée de vie limitée, car il avait buté sur
une série d’obstacles, suscitant des critiques. Du côté des dirigeants,
ce qui avait fait obstacle était la crainte d’une résistance passive et
de la perte de temps dans la prise de décision. Et du côté des salariés,
certains y avaient vu une manœuvre antisyndicale et une récupération
des logiques de régulation informelle existantes.
Le modèle des entreprises libérées peut-il donner lieu à des formes
de participation plus durables ? Il est trop tôt pour le dire, mais nous
avons identifié certains écueils, qui pourraient freiner son
développement, et dont il convient certainement de se méfier pour qui
veut s’inspirer de ce mouvement.
En premier lieu, la participation s’appuie sur l’autorégulation par
les pairs ; mais cela crée des situations de conflit, et peut conduire à
des blocages lorsque les dispositifs de régulation de ces conflits
n’ont pas été prévus.
Ensuite, l’appel à la liberté crée des logiques
d’engagement contrastés : si elle fait émerger des leaders informels et
stimule l’esprit d’entreprise de quelques-uns, elle met aussi d’autres
membres plus à l’écart. Enfin, l’aplatissement de la structure
hiérarchique conduit, paradoxalement, à un renforcement de l’image du
chef à la tête de l’organisation. Il est, en dernier recours, le gardien
des nouvelles règles du jeu et l’inspirateur de leur transformation.
Ces différents éléments sont donc certainement à prendre en compte pour penser à la transportabilité du modèle…
Nous avons une idée hélas de ce type de management qui au final ne sert qu'a permettre a a une minorité d'atteindre des objectifs et permets une "certaine "stabilité revendicative" des salariés".
Et vous croyez vous a ce modèle ou in finé on ne "croit" plus savoir qui est responsable de quoi et ou l'on fait croire que tout le monde décide de tout , ce qui n'est pas le cas dans les fait.
Chaque salarié étant soumis a la définition de son contrat de travail , ce qui permet encore a tout un chacun de faire valoir ses droits et lors de changements d'emplois a une remise en place et une équité pour le respect de tous (un manager n'a pas les mêmes objectifs qu'un salarié, et un salarié n'a pas les mêmes objectifs qu'un Manager d’où la différence des salaires, ne l'oublions pas).
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