Comment une nouvelle « loi travail » pourrait bientôt s’attaquer à la santé et à la sécurité des salariés
A lire pour se faire son propre avis !
Le
 gouvernement s’apprête-il à faire voler en éclat la législation sur les
 risques professionnels ?
Censée protéger les salariés des atteintes à leur santé ? La ministre du Travail Muriel Pénicaud pourrait bientôt s’inspirer du récent rapport Lecocq pour modifier les lois actuelles. Ce dernier recommande d’assouplir plusieurs règles, notamment en renvoyant leur négociation à l’entreprise et non plus à la loi, dans la droite ligne des précédentes lois travail. Et d’exonérer le plus possible la responsabilité de l’employeur en cas d’accidents du travail ou de maladies professionnelles. Syndicats, experts et associations de victimes craignent un grand retour en arrière. Explications.
  Censée protéger les salariés des atteintes à leur santé ? La ministre du Travail Muriel Pénicaud pourrait bientôt s’inspirer du récent rapport Lecocq pour modifier les lois actuelles. Ce dernier recommande d’assouplir plusieurs règles, notamment en renvoyant leur négociation à l’entreprise et non plus à la loi, dans la droite ligne des précédentes lois travail. Et d’exonérer le plus possible la responsabilité de l’employeur en cas d’accidents du travail ou de maladies professionnelles. Syndicats, experts et associations de victimes craignent un grand retour en arrière. Explications.
Trois
 personnes meurent chaque jour, en France, d’un accident ou d’une 
maladie liés à leurs conditions de travail, des ouvriers en grande 
majorité. Et, chaque 24 heures, près de 30 personnes sont victimes d’un 
accident potentiellement grave [1].
 Un grand nombre de ces accidents ou pathologies professionnelles 
auraient pu être évités, pour peu que la réglementation soit respectée 
et les acteurs de la prévention écoutés. C’est notamment la mission de 
l’inspection du travail et de plusieurs organismes de prévenir ces 
accidents, quitte à contraindre les directions d’entreprises. Leur 
mission de contrôle, pour le moment liée à leur mission de prévention, 
pourrait disparaître, au vu des réflexions qui sont actuellement menées 
dans l’entourage de la ministre du Travail Muriel Pénicaud.
Remis au Premier ministre à la fin de l’été, le rapport « Lecocq », 
du nom de la députée LREM du Nord, Charlotte Lecocq, s’inscrit dans la 
droite ligne de la loi Travail de 2016 puis des ordonnances du même 
nom : les entreprises seraient trop contraintes et trop contrôlées. Des 
chefs d’entreprise y suggèrent de privilégier « une relation bienveillante » avec les employeurs, « dirigée vers le conseil et l’accompagnement avant contrôle et éventuelle sanction ». « Il suffirait en fait d’arrêter les contrôles et d’être bienveillant pour que les entreprises deviennent vertueuses »,
 ironise Eric Beynel, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires. Une 
vision du travail fascinante et qui n’a pas grand chose à voir avec la 
réalité. « Ce que nous constatons tous les jours dans le cadre de nos
 activités sur le sujet de la santé et de la sécurité au travail, c’est 
qu’il n’y a pas assez de contrôles ni de contraintes », poursuit le syndicaliste.
« Peur de la sanction » ou bienveillance vis-à-vis des employeurs ?
« C’est la démonstration que les employeurs, quelle que soit la 
taille des entreprises, ne comprennent qu’une chose : la peur de la 
sanction, quelle que soit sa forme – une condamnation pénale ou civile, 
une injonction ou un arrêt d’activité... », estiment des inspecteurs du travail membres de la CGT [3]. « En
 cas de constat d’exposition des salariés à des fumées cancérogènes, je 
n’ai jamais entendu aucun employeur me dire : nous avons déjà sollicité 
des organismes de prévention pour mettre des mesures en place, ajoute Gérald Le Corre, responsable santé au travail pour la CGT de Seine-Maritime. En général, on est plutôt dans le déni du risque. »
 Un déni que certains salariés paient cher : entre 11 000 et 23 000 
nouveaux cancers professionnels sont dépistés en France chaque année [4], en plus des accidents graves ou mortels.
La bienveillance prônée par le rapport Lecocq, serait-elle en mesure 
de sauver ces vies, mieux que les contraintes légales et « la peur de la
 sanction » ? « Il ne faut pas fonder l’incitation à la prévention sur la seule menace de sanctions »,
 écrivent ainsi la députée Charlotte Lecocq, et ses co-auteurs, le 
consultant Bruno Dupuis et Henri Forest, ancien secrétaire confédéral de
 la CFDT. Cette vision étonne, au regard d’autres politiques publiques, 
comme celle menée en matière de sécurité routière. « C’est comme si 
on disait : "On n’a qu’à pas rouler trop vite, après tout, on sait bien 
que c’est dangereux." On ne mettrait aucune contrainte : pas de radars, 
pas de contraventions, pas de retraits de permis, aucune condamnation. 
Qui oserait prétendre que cela peut fonctionner ? », illustrent plusieurs experts en santé au travail.
« Il faut revoir en profondeur notre système de prévention des risques professionnels »
Nul, parmi les personnes en charge de la santé au travail, ne nie le 
besoin de réorganisation du système de prévention. Des médecins et 
infirmières du travail réunis en assemblée début février saluent 
d’ailleurs la simplification générale du système de prévention des 
risques professionnels défendue par le rapport Lecocq. « Il faut revoir en profondeur notre système de prévention des risques professionnels », estiment également les organisations représentatives du secteur, dans un communiqué
 intersyndical. Problème : la réglementation actuelle - qui permet 
d’éviter aux travailleurs de se blesser, tomber malades ou mourir à 
cause de leur travail - n’est pas respectée. « Trop souvent, des dispositions contraignantes du code du travail ne sont pas réellement appliquées », énonce d’ailleurs un récent rapport parlementaire consacré aux maladies et pathologies professionnelles dans l’industrie.
Plutôt que d’assouplir les règles, il faudrait les durcir. C’est 
l’une des conclusions du docteur Paul Frimat, spécialiste du travail, à 
qui Muriel Pénicaud a confié une mission sur l’exposition des 
travailleurs aux agents chimiques dangereux à l’automne 2017. Parmi ses 
23 recommandations :
 l’établissement  d’amendes administratives pour les employeurs qui ne 
respecteraient pas leurs obligations, et l’extension de l’arrêt 
temporaire d’activité par l’Inspection du travail en cas de manquement 
grave aux mesures de prévention. Ces amendes permettront au agents « de mettre fin aux situations dangereuses qu’ils constateraient, et ainsi affermir l’application des mesures de prévention », jusqu’à ce que la justice se prononce.
Le salarié, bientôt seul responsable de sa santé au travail ?
Quelle vision l’emportera auprès de la ministre ? Les rédacteurs du 
rapport Lecocq ne semblent pas réceptifs aux arguments du Professeur 
Frimat. Selon eux, une prévention efficace doit privilégier une relation
 de confiance avec les employeurs. Exit donc la mission de contrôle, qui
 rendrait impossible cette relation de confiance. « La confusion entre conseil et contrôle nuit à l’établissement d’une relation de confiance », affirment ainsi Charlotte Lecocq et ses co-auteurs. A cause de ces contrôles, « l’image de la santé au travail » serait « désormais perçue comme une contrainte par les dirigeants ». Il faudrait au contraire voir la santé au travail comme « un enjeu de performance globale de l’entreprise », « un gage de réussite ». Avec de beaux indicateurs dans de luxueux rapports en papier glacé ? « La "performance globale" d’Eternit [entreprise de BTP qui a longtemps, et malgré les alertes, exposé ses salariés à l’amiante, ndlr] aurait-elle été la même si elle s’était abstenue d’empoisonner ses salariés à l’amiante ?, interroge Anabelle Chassagnieux, experte en santé au travail au sein du cabinet Aptéis [5].
Le rapport va même plus loin. Dans la droite ligne de l’idéologie 
individualiste qui caractérise la politique gouvernementale, il suggère 
de faire de chaque salarié le propre acteur de sa santé au travail. Il 
s’agit de « faire de chacun un promoteur d’un milieu de travail 
simultanément propice à l’efficacité économique et au bien-être au 
travail », oubliant totalement le lien de subordination qui existe 
entre un travailleur et son employeur. Les salariés sont donc invités à 
réaliser leurs propres « bilans de santé autonomes » : « le 
salarié réalise lui-même en moins de 10 minutes la prise de ses 
constantes physiologiques (poids, taille, fréquence cardiaque, tension 
artérielle etc.) guidé par un didacticiel vidéo. Les résultats sont 
directement imprimés sur des tickets dans la cabine et transférés sur le
 logiciel de SST (santé et sécurité au travail, ndlr) », illustre le rapport. 
En cas d’accident, le salarié sera-t-il alors le seul responsable ?
« Aucun acteur de terrain n’a été entendu »
Pour favoriser « confiance » et « bienveillance », les auteurs du 
rapport Lecocq proposent logiquement de séparer les missions de 
prévention – qui seraient assurées par des personnels réunis dans des 
agences régionales – et les missions de contrôle. Un changement qui 
révèle une méconnaissance de l’action actuelle de l’inspection du 
travail. C’est « un corps très peu répressif, rappelle Gérald Le Corre. 95 %
 de ses contrôles débouchent sur un conseil plutôt que sur une sanction.
 Quand il y des procès-verbaux, les deux-tiers sont classés sans suite. 
S’il y a des poursuites, c’est qu’il y a des victimes avec des blessures
 graves, et que l’inspection aurait de toute façon été avertie par la 
police. Ce n’est pas suite à des contrôles inopinés. » « 90 % de notre travail, c’est du conseil !, ajoutent des agents de la caisse de retraite et de santé au travail (Carsat) des Pays-de-la-loire, réagissant au rapport Lecocq. En 2016, seulement 0,5 % de nos contrôles se sont traduits par une sanction, à savoir la majoration du taux de cotisation. » Ces majorations sont décidées en commissions paritaires qui réunissent salariés et patronat.
D’où vient cette méconnaissance des missions des inspecteurs et contrôleurs du travail ?« Aucun
 acteur de terrain n’a été entendu par les rapporteurs. Aucun inspecteur
 ou contrôleur du travail, aucun médecin du travail en activité, aucune 
infirmière du travail, aucun contrôleur de sécurité ou ingénieur de 
prévention des Carsat, aucun membre de CHSCT…, s’insurge la CGT. L’association des accidentés de la vie (Fnath) regrette aussi de ne pas avoir été auditionnée dans le cadre du rapport, « qui se targue pourtant de partir des attentes des acteurs de terrain ». « C’est un très mauvais rapport, qui ne peut être qualifié de sérieux puisqu’il ne s’est pas intéressé à la réalité du sujet, tranche Eric Beynel de Solidaires. Il est juste là pour détruire les derniers outils dont on dispose pour protéger la santé des salariés », prévient-il [6].
Desserrer la « contrainte » de l’évaluation des risques qui protège pourtant les salariés
Ce premier outil à « détruire » est le « document unique d’évaluation
 des risques » (DUER). Obligatoire depuis 2002, ce document doit être 
établi par l’employeur et révisé chaque année ou à chaque nouveauté 
importante, comme l’acquisition d’une nouvelle machine. Ce document doit
 détailler l’ensemble des risques auxquels les salariés pourraient être 
exposés dans le cadre de leur activité – du risque d’électrocution à 
l’exposition à des produits très toxiques ou radioactifs, en passant par
 le travail en hauteur, le port de charges lourdes, le risque d’accident
 routier, les blessures liées à une machine, etc. Il doit préciser les 
mesures de prévention et de protection mises en place par l’entreprise 
pour chacun des risques existants. « C’est vraiment une base très intéressante pour mettre en place un plan de prévention »,
 pense Jean-Dominique Dewitte, du service pathologies professionnelles 
du CHU de Brest, président de la Société française de médecine du 
travail.
Charlotte Lecocq n’est pas de cet avis. Le document unique est « vécu par l’employeur comme une obligation réglementaire formelle sans utilité pratique », dit-elle [7]. Elle propose donc de « desserrer » cette « contrainte », vue comme du formalisme inutile, « au profit d’un plan d’action de branche ou par entreprise ». Le document unique serait-il trop complexe ? « Les
 employeurs se plaignent parce que c’est long et exigeant. Mais on 
pourrait se féliciter de cette complexité : il s’agit quand même 
d’assurer la protection des salariés ! », rappelle Nicolas Spire, du cabinet Aptéis. « Or,
 on sait qu’à chaque fois ou presque, en cas d’accidents graves, les 
employeurs n’ont pas respecté les obligations de sécurité. Si on évalue 
les risques en amont, les accidents sont moins nombreux. »
Pourquoi les employeurs pourraient, demain, ne plus être poursuivis en cas d’infraction
Le document unique est souvent utilisé par les juges pour savoir si les employeurs ont « soit
 omis d’évaluer un risque qui a été source d’un accident, soit n’avoir 
pas pris les mesures de prévention suffisantes alors que le risque était
 parfaitement identifié », complète l’inspecteur du travail Gérald 
Le Corre. Les employeurs ont cet outil dans leur collimateur depuis 
longtemps, car il précise leur responsabilité en cas d’accidents. Leurs 
plaintes semblent avoir été entendues [8].
 La députée LREM propose également d’alléger cette obligation pour les 
petites entreprises, plutôt que de leur donner les moyens d’évaluer 
sérieusement les risques que leurs salariés encourent. « Les petites entreprises sont déjà moins pourvues en ressources internes et en représentation du personnel, proteste la CGT. Elles
 sont souvent, en tant que dernier maillon de la chaîne de 
sous-traitance des grands groupes, contraintes par des stratégies 
génératrices de risques », pour accélérer le rythme de production ou baisser les coûts au maximum [9].
Autre cible du rapport Lecocq : le fait que la loi en matière de 
santé et de sécurité au travail s’applique à toutes les entreprises. 
Pour la députée et ses co-auteurs, ce sont les accords de branche ou 
d’entreprises qui devraient primer sur le droit. « C’est la même 
logique que la loi El Khomri et les ordonnances Macron. On fait primer 
des dispositions prises par les employeurs sur la loi »,  explique 
Anabelle Chassaignieux. Exemple ? Actuellement, si des salariés sont 
exposés au risque cancérogène, dans le secteur de la chimie notamment, 
la loi prévoit  une protection collective, comme un système d’aspiration
 des polluants. La protection individuelle – masques, combinaisons... – 
intervient en second lieu. Demain, si un accord d’entreprise ne prévoit 
que des protections individuelles, dont l’efficacité est pourtant 
controversée, l’employeur pourra s’exonérer de système évacuant les 
polluants.
Chantage à l’emploi contre préservation de la santé des salariés
« Pour justifier l’abandon de contraintes imposées à tout le 
monde, Charlotte Lecocq avance que  les entreprises seraient plus près 
du terrain, et donc plus à même de comprendre ce qui s’y passe. Mais les
 CHSCT [comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ndlr] permettaient cette proximité, et le gouvernement a choisi de les supprimer »,
 s’étonne Anabelle Chassagnieux. Si la santé au travail doit être 
négociée au sein des entreprises, elle risque de passer après les 
questions d’emploi et de salaires. En cas de chantage à l’emploi, que 
devront choisir les élus du personnel ? Garantir un bon niveau de 
sécurité au travail pour éviter des accidents, au risque que l’activité 
soient externalisée ou sous-traitée ? Ou accepter l’affaiblissement des 
normes de protection de la santé et une plus grande prise de risques 
pour préserver emploi et salaires ? Plus grave encore : privilégier les 
accords d’entreprise ou de branches permettra aux employeurs d’échapper à
 toute poursuite pénale en cas d’infractions et d’accidents graves ou 
mortels ! Le non respect des accords collectifs d’entreprise ne 
constitue pas un délit pénal...
« Notre message, c’est que l’investissement dans la santé et la 
sécurité au travail est un levier de la performance globale de 
l’entreprise », martèle Charlotte Lecocq  comparant la prévention des risques professionnels à une « dynamique dans laquelle s’engager avec un retour sur investissement » [10].
 Elle oublie totalement comment la culture de la prévention des risques 
au travail s’est constituée : pas par une pseudo communion entre  
employeurs et salariés, ni par la perspective d’un « retour sur 
investissement » mais par une série d’affaires et de scandales : de la 
silicose des mineurs à l’amiante, de l’accident d’AZF aux multiples 
accidents mortels au travail, des troubles musculo-squelettiques aux 
vagues de suicides au travail.
 Nous sommes pour la défense des salariés et pour se faire il ne suffit pas de dire nous sommes bienveillants pour permettre a tous de vivre correctement dans des conditions identiques pour tous ! 
Quelle justice SOCIALE ?  A SUIVRE
Bonne fin de semaine a tous et toutes ! 

