Décryptage détaillé des 8
ordonnances que Macron ne voulait pas dévoiler
On
comprend mieux pourquoi le calendrier annoncé par Emmanuel Macron prévoyait
d’attendre après les législatives pour dévoiler le contenu des ordonnances sur
le droit du travail : il est explosif.
Le projet fuité va bien
au-delà des éléments annoncés publiquement jusqu’ici. Il s'attaque notamment au
contrat de travail, aux salaires, et à la santé et la sécurité au travail.
Mais
le gouvernement ne dévoile pas l'ensemble du contenu qu'il souhaite modifier et
c'est même un objectif assumé pour "ne pas courir le risque de contraintes
insurmontables au stade de la rédaction des ordonnances".
Les
sujets listés sont beaucoup plus larges que prévu et lui donnent une marge de
manœuvre inédite pour modifier la quasi-totalité des droits des salariés en
catimini pendant l'été. Les mesures qui concerneraient directement les
Ingés, cadres et tech sont nombreuses : salaires tirés vers le bas,
télétravail, plafonnement des indemnités prudhommes…
La
méthode : les ordonnances
Le projet de loi
rendu public est celui qui va autoriser le gouvernement à légiférer par
ordonnances sur un certain nombre de sujets. Le gouvernement est tenu de
préciser dans son projet de loi les sujets sur lesquels il veut réformer par
ordonnances, et le calendrier. Une fois la loi d'habilitation votée, il dispose
d'un délai pour préparer ses ordonnances et les soumettre au parlement pour
ratification. Sans attendre la ratification du Parlement, elles s'appliquent
immédiatement.
Ici, le choix
retenu laisse la marge de manœuvre la plus importante au gouvernement
avec :
- Un nombre de thèmes très élevé
- Un contenu très large, le projet de loi précisant que
contrairement à la loi El Khomri, ces dispositions supplétives peuvent
être en deçà des droits actuels.
- Un calendrier potentiellement long, pouvant laisser jusqu'à 1
an au gouvernement pour légiférer sans débat avec le parlement.
8 sujets
listés, qui donneront chacun lieu à une ordonnance soumise à ratification par
le parlement - (voir le détails de celle-ci ci dessous)
⁃ Renvoyer à
l'entreprise de nouveaux sujets, la loi ne définissant plus que des
dispositions supplétives, s'appliquant en l'absence d'accord. La liste de ces
sujets est très longue, et couvre y compris des thèmes pour lesquels la loi,
grâce à la mobilisation de l'année dernière, prévoyait qu'il était impossible
de déroger par accord d’entreprise : le contrat de travail, le temps de
travail, les salaires, la santé et la sécurité, et l’emploi
- Plafonner les indemnités prudhommes en cas de licenciement
abusif, sans aucune précision sur le montant du plafond.
- Etendre le référendum pour permettre l'adoption d'un accord
contre l'avis des syndicats majoritaires. Les référendums introduits par
la loi El Khomri ne pouvaient jusque-là qu'être utilisés par les
syndicats, l'employeur pourra désormais en déclencher
- Redéfinir le rôle de l'accord de branche et réduire leur
nombre
- La "simplification" des institutions
représentatives du personnel et la fusion entre délégué du personnel,
CHSCT et comité d'entreprise dans une instance unique. Le projet va plus
loin que prévu et prévoit à titre expérimental de fusionner aussi le
Délégué Syndical
- Renforcer les moyens du dialogue social avec des moyens en
formation et en temps supplémentaire, et l'introduction d'une forme de
chèque syndical.
- Renforcer le pouvoir de Conseils d'Administrations et
"inciter" à une meilleure représentation des salariés dans les
CA .
- Réformer l'assurance chômage.
L'argumentation
"politique" : les droits des salariés seraient responsables du
chômage et de la précarité
La réforme
s'inscrit dans la droite ligne de la loi El Khomri et des arguments mille fois
entendus mais jamais démontrés qui font de l'excessive protection des salariés
en CDI la source du chômage de masse et de la précarité. Aucune étude
économique n'ayant jamais fait le lien entre baisse des protections des
salariés et création d'emploi, l'exposé des motifs se garde bien de citer le
moindre chiffre. La stratégie affichée, pour éviter comme l'année dernière de
focaliser le débat sur la réforme du code du travail, est de la présenter en
même temps que la réforme de l'assurance chômage et de la formation professionnelle,
de façon à afficher une sorte de "flexi sécurité" à la française.
C'est ce qui explique le projet envisage d'intégrer la réforme de l'assurance
chômage aux ordonnances, contrairement à ce qui était annoncé dans le programme
d'Emmanuel Macron.
Alors que depuis
2013, 4 réformes du code du travail ont été menées – loi dite
« sécurisation de l’emploi », loi Rebsamen, loi Macron, loi El Khomri
– ayant toutes en commun de faire reculer les droits des salarié-es, aucune
évaluation n’est prévue. Elles devaient pourtant créer de l’emploi, dommage que
l’on ne vérifie pas que les résultats sont atteints…Surtout, elles commencent à
peine à s’appliquer, et causent sur le terrain une pagaille généralisée.
Quand on prétend simplifier, c’est quand même étonnant de
multiplier les réformes non ?
La
possibilité de réviser l'ensemble des droits à la baisse
Suite à la
mobilisation, le gouvernement a été obligé de modifier la loi El Khomri l'année
dernière. Dans la première version de son projet de loi, les règles supplétives
ne correspondaient pas au contenu actuel du droit du travail. Par exemple, ils
prévoyaient d'augmenter les durées maximums de travail (notamment pour les
apprentis mineurs, le travail de nuit...).
Le projet
d'ordonnance Macron précise dans une discrète note de bas de page, que
contrairement à la loi El Khomri, les règles supplétives ne seront pas à droit
constant. Ceci signifie que le gouvernement pourra, sur l'ensemble des sujets,
revoir nos droits à la baisse !
LES ORDONNANCES "remplacement de la loi 49.3"
Ordonnance 1 : le renvoi à l’entreprise de
la quasi-totalité des droits : la généralisation du dumping
La loi El Khomri a
réécrit la partie du code du travail portant sur le temps de travail, en
renvoyant à la négociation d'entreprise de nombreuses questions qui étaient jusque-là
définies dans la loi. C'est le cas par exemple des heures supplémentaires, qui
devaient auparavant être rémunérées partout avec une majoration de 25% puis
50%. Désormais, un accord d'entreprise ou de branche peut prévoir une
majoration de 10%, sans qu'un accord au niveau de la branche puisse
l'interdire. La règle des 25 et 50% n'est plus que supplétive, c'est à dire
qu'elle s'applique seulement quand il n'y a pas d'accord d'entreprise.
La liste des
droits pour lesquels les dispositions de la loi ne s'appliqueront que s'il n'y
a pas d'accord d'entreprise est longue.
1- Temps de travail
La loi El Khomri
qui a largement détricoté la durée légale du travail ne suffit visiblement pas
car le gouvernement souhaite une encore s'y attaquer dans ces ordonnances.
Le travail de nuit
est notamment mentionné. On se souvient que le gouvernement avait essayé
d'augmenter la durée maximale du travail de nuit et été contraint de reculer
l'année dernière. Il pourrait donc cette année :
- ⁃
augmenter les durées maximums de travail de nuit
- ⁃
Supprimer les contreparties obligatoires en matière de repos et de
rémunération
- ⁃
Modifier la définition du travail de nuit, qui correspond aujourd'hui au
travail effectué entre 21h et 6h du matin. Demain, cette plage horaire
pourrait être raccourcie.
Exemple : Aujourd'hui tout travail effectué au cours d'une période d'au
moins 9 heures consécutives comprenant l'intervalle entre minuit et 5 heures
est considéré comme du travail de nuit. Il s'agit d'une disposition d'ordre
public. A défaut d'accord particulier, c'est entre 21h et 6 heures. Avec les
ordonnances, cette période pourrait être raccourcie par un accord d'entreprise
entre minuit et 5 heures par exemple. Par conséquent le nombre d'heures
majorées pour le salarié serait plus faible.
Le télétravail
est également ciblé. Alors que les syndicats viennent de forcer le patronat à
signer un document prévoyant une négociation interprofessionnelle encadrant le
télétravail, les ordonnances pourraient autoriser les entreprises à définir
elles-mêmes l'ensemble des droits des télétravailleurs. Grâce à l’accord signé
en 2005 par l’ensemble des syndicats, le télétravail est encadré dans la loi,
qui impose par exemple à l’employeur de prendre à sa charge les équipements de
travail. Le document issu de la concertation qui vient de s’achever prévoit de
renforcer ces protections, par exemple en matière d’accident de travail. C’est
une priorité pour la CGT, étant donné que les ingés, cadres et tech sont de
plus en plus nombreux à opter pour le télétravail. C’est le résultat de cette
laborieuse négociation que mettraient à bas les ordonnances.
On se souvient que
l’année dernière, le gouvernement voulait autoriser à fractionner les 11h de
repos obligatoire, ciblant directement les ingés, cadres et tech, nombreux à être
au forfait jour. Cette disposition pourrait être réintroduite dans les
ordonnances.
La durée légale du
travail n'est rappelée à aucun endroit du document. L'exposé des motifs se
contente de lister comme dispositions relevant de l’ordre public que le Smic,
l'égalité professionnelle et les seuils d’expositions au risques (matières,
charges, températures…). Le gouvernement ne prendra toutefois probablement pas
le risque politique de s'attaquer au symbole des 35h. Il peut toutefois
amplifier la loi El Khomri et permettre aux entreprises de définir le taux de
rémunération et le seuil de déclenchement des heures sup (35h, 39h...), avec la
possibilité de descendre en dessous des 10% de majoration...ce qui reviendrait
à supprimer dans les faits la durée légale du travail.
Rien n'empêche non
plus le gouvernement de légiférer pour généraliser le travail du dimanche comme
il avait commencé à le faire dans la loi Macron de 2015.
2- Le contrat de travail
Ce sujet n'a
absolument pas été évoqué dans la campagne électorale, ni été débattu. Le
projet autorise le gouvernement à modifier de fond en comble les règles légales
régissant le contrat de travail en les renvoyant à l'accord d'entreprise. Très
laconique, il se contente d'identifier 2 cibles :
Le recours
aux CDI et CDD :
Aujourd'hui, le
code du travail énumère limitativement les cas de recours aux CDD qui sont
d'ordre public (remplacement, surcroit temporaire d'activité, CDD d'usage,
activité saisonnière), c'est à dire qu'un accord ne peut ajouter de nouveaux
cas de recours.
Avec ses
ordonnances, le gouvernement pourrait permettre par accord d'entreprise :
- De créer de nouveaux cas de recours au CDD ;
- De modifier ou supprimer la durée maximale d'un CDD et le
nombre de renouvellement (18 mois et 3 renouvellements aujourd'hui) ;
- Ou encore de modifier le montant de l'indemnité de précarité
(10%).
- Les "conditions et conséquences" de la rupture du
CDI.
Un employeur doit
justifier d'une cause réelle et sérieuse pour procéder à un licenciement
(licenciement économique, motif disciplinaire, inaptitude physique, etc.). Il
doit par ailleurs respecter une procédure, qui implique une convocation à un
entretien préalable, une lettre indiquant les motifs de licenciement, la
possibilité pour le salarié de se faire assister par un syndicat... Il doit
enfin respecter un préavis et verser une indemnité de licenciement.
Ces éléments sont
aujourd'hui définis par la loi. Le gouvernement pourrait renvoyer l'ensemble de
ces dispositions à l'accord d'entreprise. Il pourrait également permettre de
prédéfinir des motifs de licenciement soit dans le contrat de travail, soit
dans un simple accord d'entreprise, revendications de longue date du MEDEF.
3- La santé et la
sécurité
Cette partie du
code du travail, fondamentale pour les salariés, définit l'ensemble des
protections des salariés en matière de santé et de sécurité. Le projet de loi
est très laconique, et se limite à dire que les seuils d'exposition aux risques
(matières dangereuses, charges, températures…) devraient rester définis dans la
loi. En l'état de sa formulation, ce projet pourrait permettre au Gouvernement
de transférer à la négociation d'entreprise des éléments essentiels tels que :
-
le droit d'alerte des représentants du personnel et droit de retrait des
salariés confrontés à un danger grave et imminent (comme les Risques
psychosociaux, les risques industriels, les violences sexuelles…). Cette disposition
est particulièrement grave pour les ingés, cadres et tech, qui souvent, du fait
de leurs responsabilités, sont les premiers informés de ces risques. Ceci
fragiliserait considérablement le début de statut pour les lanceurs d’alerte
que nous venons d’arracher !
- L’information et la formation des salariés,
- La protection des mineurs de moins de 18 ans,
- Les obligations relatives aux équipements de sécurité,
- L’organisation des locaux de travail (fenêtres, vestiaires,
…),
- Les modalités de prévention contre des risques spécifiques
(chimiques, biologiques, sonores, …),
- Le document unique d'évaluation des risques professionnels.
Il est
particulièrement grave que le Gouvernement ait souhaité se réserver la
possibilité de transférer ces éléments à la négociation collective sans
explicité ses intentions. La santé des salarié-es n'est pas négociable !
4- Le salaire
Sur les salaires,
au-delà des dangers réels de dumping que fait courir la décentralisation de la
négociation salaire, il y a au moins 2 risques importants :
- On a constaté pendant la crise que l’on négociait moins les
salaires dans l’entreprise et que les augmentations étaient très faibles.
Néanmoins, les salaires réels ont progressé en France même pendant ces
années de crise, essentiellement grâce aux accords salariaux de branches
qui ont automatiquement fait augmenter les salaires. Ce résultat
est aussi le fruit de la couverture conventionnelle avec 96% des
salariés en France qui sont couverts par un accord de branche grâce au
droit à l’extension. Renvoyer la négociation salaire dans l’entreprise
c’est à coup sûr baisser le niveau général des salaires réels.
Un article des Echos explique
parfaitement ce mécanisme avec cet exemple : entre 2009-2012 (au cœur
de la crise systémique) : lorsque l’augmentation de salaire est de 1% dans
la branche, la hausse à court terme du salaire moyen de base est
supérieure de 0,12% à ce qu’elle aurait dû être s il n'y avait pas eu
d’augmentation conventionnelle de branche.
En clair le vœu du Medef est exaucé cela permettra de geler voire de
baisser les salaires
- Le salaire conventionnel est le salaire de référence d’un niveau
de classification. Ne plus négocier le salaire au niveau de la branche
revient à avoir des grilles de classifications sans salaires qui leur
correspond. Cela revient à affaiblir considérablement les grilles de
classification et la reconnaissance des qualifications.
Les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires tirent déjà
les salaires vers le bas, avec un tassement de la reconnaissance de la
qualif et une absence de déroulé de carrière qui frappe particulièrement
les ingés cadres tech, et notamment les jeunes diplômé-es. Avec cette
disposition, la seule augmentation annuelle de salaire sera (et c’est de
plus en plus hypothétique) celle du SMIC. C’est la négation totale de la
qualification.
5- L’emploi
Le projet de loi
d’habilitation prévoit également d’élargir le champ de la négociation
d’entreprise aux dispositions du titre 2 du livre 1er de la 5e partie du code
du travail relatif à la sauvegarde et au maintien de l’emploi.
Ces dispositions
concernent pourtant, pour l’essentiel des aides et dispositifs mis en place par
l’Etat (aide au développement de l’emploi et des compétences, aide à
l'élaboration d'un plan de gestion prévisionnelle des emplois et des
compétences, aide aux actions de formation pour l'adaptation des salariés, contrat
de génération, …).
Cependant,
certains droits importants des salariés peuvent également être attaqués.
L’ordonnance peut prévoir que la part du salaire perçue par les salariés
lorsque leur employeur les place en chômage partiel est négociée dans chaque
entreprise.
Elle peut également permettre de revenir sur les droits des salariés dans le
cadre des accords de maintien de l’emploi.
Ces accords, créés
par la loi de sécurisation de l’emploi de 2013 permettent, en cas de «
difficultés économique conjoncturelles » d’imposer aux salariés des
modifications de la durée du travail, ainsi que la rémunération, sous peine
d’être licencié.
La CGT avait dès
l’origine dénoncé les risques de dumping social et les chantages à l’emploi.
Les ordonnances
risquent de revenir sur les maigres garanties dont bénéficient les salariés :
- Impossibilité de diminuer la rémunération en dessous de 120%
du minimum conventionnel ;
- Obligation de prévoir des efforts des dirigeants et
actionnaires ;
- Impossibilité de prévoir une durée dépassant 5 ans ; …
ORDONNANCE 1 :LE Renvoi à l’entreprise de
la quasi-totalité des droits : la généralisation du dumping
ODONNANCE 2 : le plafonnement des
indemnités en cas de licenciement abusif
Pour la 3e fois,
Emmanuel Macron essaie de faire adopter cette disposition contre l'avis de
l'ensemble des organisations syndicales. Il s'agit, en cas de condamnation d'un
employeur par les prudhommes pour licenciement abusif, de limiter le montant
des dommages et intérêts versés au salarié. Initialement prévue dans la loi
macron de 2015, elle a été rétorquée par le conseil constitutionnel. Avec
quelques modifications de forme, elle a été glissée en 2016 dans la loi el
khomri, puis retirée, face à la mobilisation. Aujourd'hui, la condamnation est
adaptée au préjudice subi, et le juge tient compte de l'ancienneté, la durée du
chômage, la situation de famille et le nombre d'enfants à charge, l'âge, etc.
Le projet
d’habilitation ne donne aucune information sur le montant des plafonds retenus,
mais on se souvient que ceux retenus l'année dernière dans la première version
de la loi El khomri étaient particulièrement faibles (plafonds inférieurs aux
condamnations moyennes). En outre, le gouvernement avait parlé d’instaurer des
condamnations forfaitaires, indépendamment du salaire du salarié concerné, ce
qui aurait particulièrement ciblé les ingés cadres et techs, et tiré le montant
des condamnations vers le bas.
Pourquoi tant
d'insistance ? Parce qu'il s'agit de la clé de voûte du code du travail. D'une
part, le plafonnement les condamnations en cas de licenciement abusif permet
aux employeurs de le provisionner, et de se donner les moyens sans aucun risque
de condamnation de licencier un-e salarié sans motif. Le but est de permettre à
l'employeur de choisir entre le respecter du droit du travail et le risque
d'une condamnation d'un montant maximum prédéfini. Côté salarié, c'est le règne
de l'arbitraire. Comment réclamer le paiement de ses heures sup ou
remettre en cause une directive si du jour au lendemain on peut, dans motif,
être mis à la porte? Au prétexte de leurs responsabilités professionnelles, la
liberté d’expression des cadres est souvent remise en cause, là c’est le
baillon !
Ordonnance 3 : Les referendum pour faciliter l'adoption d'accords d'entreprise
Pour généraliser
les accords dérogatoires d'entreprise, il faut faciliter leur adoption.
Pour cela, la loi El Khomri a inventé le référendum, permettant, quand un
accord est refusé par les syndicats majoritaires, de le faire adopter par
référendum auprès des salariés. Le 1er référendum organisé a confirmé les
craintes de la Cgt. Initié à RTE, le référendum visait à faire adopter un recul
des droits des agents de maintenance sur leurs astreintes et du travail le soir
et le WE...en demandant leur avis à l'ensemble des salarié-es, dont la moitié
(et notamment les ingés, cadres et tech) n'était pas concernée. Diviser pour
mieux régner...Grâce à la mobilisation de la Cgt et au travail d'infos des
cadres et agents de maîtrise que la direction voulait instrumentaliser, le
référendum a été un échec. Ceci n'a été possible que grâce à la forte
implantation syndicale, ce qui est loin d'être le cas partout...
Le gouvernement
veut donc étendre le recours aux référendum. Jusque là réservé aux syndicats,
il pourrait maintenant être lancé à l'initiative et dans les conditions
décidées par l'employeur. Il y a fort à parier que les mises en opposition des
salarié-es vont être maximum, avec le risque de faire exploser les collectifs
de travail
Ordonnance 4- Redéfinir le rôle de l’accord de
branche et réduire leur nombre
Grâce à la
mobilisation contre la loi El Khomri, nous avons réussi à ce que la loi précise
qu’il y a 6 sujets sur lesquels l’accord de branche prime forcément sur
l’accord d’entreprise:
- Les salaires
- Les classifications
- L’égalité professionnelle
- La pénibilité
- La formation professionnelle
- La prévoyance
Réformer cette
disposition par ordonnance a probablement pour objectif de supprimer tout ou
partie de ces 6 domaines.
La loi El Khomri
prévoit aussi la restructuration des branches professionnelles, pour en limiter
le nombre. La CGT partage totalement cet objectif, la question c’est la méthode
et les périmètres. La fusion aura-t-elle pour objectif de tirer les garanties
conventionnelles vers le haut ou vers le bas ? En clair, fusionnera-t-on
des branches avec un haut niveau de protection avec des branches de dumping,
comme la branche Syntec ?
L’ordonnance
pourrait viser à accélérer le chantier et réduire encore plus drastiquement le
nombre de branches.
Ordonnance 5 : Le regroupement des instances
représentatives, la disparition des CE, CHSCT et DP
Alors que la
réforme de 2015 (loi Rebsamen) commence à peine à s'appliquer, le gouvernement
remet le couvert pour réformer les instances de l'entreprise. L’objectif :
fusionner le Comité d'Entreprise, le CHSCT et le Délégué du personnel dans une
instance unique. Pourtant, plusieurs possibilités ont été introduites en 2015,
et notamment
- Pour les entreprises de moins de 300, l'employeur peut mettre
en place une délégation unique du personnel regroupant CE et DP
- Dans les entreprises de plus de 300, par accord d'entreprise,
l'employeur peut créer une instance unique
Le gouvernement
veut aller encore plus loin (sans évaluation des réformes précédentes), ce qui
pose plusieurs problèmes :
- La remise en cause du rôle du CHSCT, qui, aujourd'hui, a une
personnalité juridique qui lui permet d'aller en justice, de faire des
enquêtes ou diligenter des expertises (par exemple sur les risques psycho
sociaux, les violences sexuelles…) C’est ce qui a permis de faire annuler
un plan social à la FNAC, du fait des risques psycho sociaux qu’il faisait
courir aux salarié-es qui auraient vu leur charge de travail exploser
- Le risque que les missions du CHSCT soient financées sur le
budget du CE, amputant d'autant les moyens pour organiser une offre de
culture et de loisir, la restauration...en particulier, le CHSCT peut
demander des expertises sur la santé et la sécurité, financées par
l'employeur. Le Medef cherche depuis longtemps, pour limiter le nombre
d'expertises à les faire payer par le CE.
- La baisse du nombre d'élu-es, et la suppression des instances
de proximité, les DP et les CHSCT
L'existence d'une
instance dédiée à la sécurité et à la santé au travail est primordiale pour
forcer les employeurs à ce saisir de ces thématiques, et notamment des risques
psycho sociaux qui, avec les burn out, explosent chez les ICT.
Enfin, le
gouvernement sort du chapeau, une mesure jamais annoncée ou débattue, la
possibilité d'ajouter dans cette instance la négociation. Ce serait la rupture
avec notre modèle historique de démocratie sociale dans l'entreprise, qui
repose d'un côté sur des élu-es, disposant de droits d'information, de
consultation, d'expertise et d'alerte, de l'autre sur des syndicats, qui seuls
ont la capacité de négocier.
Pourquoi cette distinction
? Pour adosser le droit à la négociation aux droits et protections syndicales,
et ainsi garantir l'indépendance des négociateurs vis à vis de l'employeur.
Depuis de longues années le Medef veut autoriser la négociation avec les élus
sans étiquette,
Ordonnance 6 : Le renforcement des moyens du
dialogue social
Il s’agit
probablement d’une contrepartie destinée à faire avaler la pilule de tous les
reculs précédents, mais le compte n’y est absolument pas. Le projet
prévoit :
- Une forme de chèque syndical, avec la possibilité par le
salarié d’apport des ressources financées par l’employeur au syndicat de
son choix, sur le modèle de ce qui existe à Axa
- Un renforcement de la formation des élu-es, et des mesures
(non précisées), pour reconnaître celui-ci dans les carrières et lutter
contre la discrimination syndicale. La CGT porte de nombreuses
propositions sur le sujet, rendues publiques à l’occasion de l’action de
groupe contre les discriminations syndicales à Safran. Pas de réponse
là-dessus pour l’instant…
Les grands
absents, les salarié-es des petites entreprises dans lesquels il n’y a souvent
ni représent-es du personnel, ni syndicats. Pourtant, la CGT porte une proposition
simple pour garantir une représentation à tous les salarié-es des entreprises
de moins de 50
Ordonnance 7 : Conseils d’Administrations
Au lieu de
généraliser les administrateurs salariés, d'augmenter leur nombre et leurs
prérogatives pour se rapprocher des pays d'Europe du Nord, on se limite à des
mesures "incitatives". Sachant que le patronat refuse obstinément de
partager les orientations et décisions stratégiques, une simple incitation ne
permettra pas d'aller bien loin.
La CGT et son
UGICT font de nombreuses propositions pour dé financiariser l’entreprise et
renforcer les moyens d’intervention des représentants du personnel et des
cadres sur les orientations stratégiques. Visiblement, Emmanuel Macron ne les a
pas lues…
Ordonnance 8 : réforme de l’assurance
chômage
Le gouvernement
s’était engagé auprès des syndicats que la réforme de l’assurance chômage ne se
ferait pas par ordonnance, visiblement les arbitrages ne sont pas si clairs.
Les éléments annoncés sur l’assurance chômage et la formation professionnelle
sont les suivants :
- L’ouverture du système aux indépendants et aux salarié-s
après une démission, le renforcement du contrôle des chômeurs
- La gestion tripartite du système (actuellement géré
uniquement par les syndicats et le patronat) au prétexte que la dette du
régime est actuellement garantie par l’Etat
- Une réforme de son financement, avec suppression des
cotisations chômage qui seraient remplacées par la CSG
- L’utilisation des fonds de la formation professionnelle pour
financer la formation des demandeurs d’emploi, la fin du paritarisme de sa
gestion
Cette réforme
d’ensemble pose plusieurs questions :
- Quels
financements supplémentaires pour l’ouverture de l’assurance chômage aux
indépendant-es ? En effet, une telle réforme, pour
constituer un progrès, suppose la mobilisation de ressources
supplémentaires conséquentes. Or le régime est actuellement déficitaire,
et le programme d’Emmanuel Macron prévoit de diminuer les dépenses de
l’assurance chômage d’un quart en cinq ans. La menace est alors que le
Président finance sa réforme par une baisse massive des droits au chômage
pour les salariés déjà couverts. Pourtant, la CGT propose de longue date
des mesures de financement, comme le déplafonnement des cotisations et des
allocations qui permettrait de dégager 800 millions de ressources
supplémentaires chaque année.
- Le
changement de financement et de gouvernement du régime, avec l’abandon
d’un système de cotisation sociale, induit un changement total de
conception pour les droits. Actuellement, le régime est
contributif, avec des salarié-es qui cotisent et perçoivent des
allocations proportionnelles à leur salaire antérieur ; ce système
est assorti à des mesures de répartition pour augmenter les allocations
des salarié-es les plus précaires. Le caractère contributif du régime est
ce qui garantit l’adhésion de toutes et tous au régime : les ICT étant
moins fréquemment au chômage, leurs cotisations financent largement le
système et permettent d’assurer une meilleure protection à toutes et tous.
En contrepartie l’assurance chômage assure aux ICT un niveau d’allocation
leur permettant de maintenir en partie leur niveau de vie, le temps de
retrouver un emploi correspondant à leur niveau de qualification. C’est ce
système de solidarité qui construit l’attachement commun de l’ensemble des
salariés à l’assurance chômage et évite que les plus aisés cherchent à le
contourner pour se tourner vers des systèmes non solidaires de
capitalisation. Financer le régime par la CSG à la place des cotisations
induit un changement de modèle : si le système n’est plus
contributif, mais financé par tous, le lien entre salaire et prestation
pourrait être remis en cause au moins en partie. L’UGICT-CGT est
particulièrement inquiète par cet aspect, qui risque de servir de prétexte
à un alignement vers le bas du montant et de la durée des allocations,
avec la pénalisation directe des ingénieurs cadres et techniciens.
- La
répartition des richesses. Aujourd’hui, les cotisations
chômage sont financées à 2/3 par la part dite employeur et 1/3 par la part
dite salariale. La CSG elle est un impôt, qui repose essentiellement sur
les salarié-es et ne taxe que marginalement le capital. L’augmentation de
la CSG proposée par Emmanuel Macron pénalisera directement les retraité-es
(et notamment les Ingés, cadres et tech retraités, Emmanuel Macron ayant
annoncé que les retraité-es les plus modestes seraient exonéré-es),
l’assurance chômage n’étant financée aujourd’hui que par les actifs.
- Le
maintien de la formation professionnelle des salarié-es.15%
des fonds de la formation professionnelle, financée par les cotisations
salariales et patronales profitent actuellement à la formation des
privé-es d’emploi. Augmenter, comme veut le faire Emmanuel Macron, la part
dévolue à la formation des demandeurs d’emploi sans augmenter son
financement pose plusieurs questions :
- Cela s’inscrit dans le prolongement des plans de
formation des chômeurs de François Hollande (« plan000 »), qui
à force d’objectifs chiffrés, génèrent de nombreuses formations
« bidon ». Surtout, ce n’est pas la formation qui crée de
l’emploi ! La formation facilite le retour à l’emploi, mais une
majorité de chômeurs reste sans emploi à l’issue de sa formation
- C’est « déshabiller Pierre pour habiller
Paul», et baisser la formation des salarié-es qui est déjà très
insuffisante pour faire face à l’évolution nécessaire des qualifications
notamment à la révolution numérique. C’est donc une mesure à courte vue,
qui menace l’emploi et la compétitivité à moyen long terme des
entreprises. Ce type de mesure repose sur un discours stigmatisant les
Ingés, Cadres et Techs, qui sont les salarié-es qui profitent aujourd’hui
le plus de la formation professionnelle. Au lieu de diminuer la formation
des ICT, et plus généralement des salarié-es, pour redéployer vers les
privé-es d’emploi, il faut augmenter le financement de la formation
professionnelle par les entreprises qui baisse depuis des années !
S’il est indispensable de permettre une réelle formation des privés
d’emploi, la formation en direction des salariés en emploi doit également
être améliorée et augmentée.
- La
fin du paritarisme, et la gestion directe du régime par l’Etat.
Le recul de la démocratie sociale a déjà conduit à confier à l’Etat la
gestion de la Sécurité sociale, faisant ainsi reculer la couverture solidaire
des salariés au profit des complémentaires santés et assurances privées.
Alors que l’assurance chômage et la formation professionnelle sont deux
éléments essentiels de la gestion paritaire, il ne faut pas leur faire
suivre le même chemin
SOURCE : CGT UGIRC – Dossier Le
Parisien - Juin 2017
A Suivre de Prêt et certes il ne s'agit que d'un avant-Projet, mais le dossier est Brulant et nous y reviendrons car il est claire que certaines de ces ordonnances auront surement une application dans notre entreprise.